La perception différentielle de la menace islamique dans trois hebdomadaires d'Europe occidentale : "une panique morale" française ?

La récurrence des interrogations sur la compatibilité de l'Islam avec la société française et la multiplication des lois visant à réduire sa visibilité dans certains pays européens (interdiction(s) du voile, des minarets, etc.) nous sont apparues comme le symptôme d'une panique morale globalisée. Selon George Morgan et Scott Poynting (Global Islamophobia), celle-ci trouverait son origine dans les attentas du 11 septembre 2001 qui auraient fait apparaître l'Islam comme le nouvel ennemi post Guerre Froide. Cependant, la comparaison entre trois hebdomadaires européens, Le Point (France), Focus (Allemagne) et The Spectator (Grande Bretagne) semble nuancer cette hypothèse. Si le 11 septembre a réactivé la théorie du choc des civilisations (Samuel Huntington) dans les trois magazines, la conception de la menace traduit des sensibilités spécifiques à chaque société : elle apparaît "terroriste" dans Focus, "civilisationnelle" dans The Spectator et "sociétale" (Barry Buzan) dans Le Point. L'hostilité singulière manifestée dans ce dernier nous a conduit à recentrer l'analyse sur une panique morale proprement française. Seul le cas français semble en effet répondre aux critères développés par Stanley Cohen : volatilité, hostilité, projection, disproportion, consensus. La perspective comparative nous a permis de valider deux hypothèses explicatives sur cette singularité. D'une part, la projection de la mémoire coloniale apparaît comme un cadre interprétatif majeur de l'Islam en France à travers l'opposition binaire entre le musulman "modéré", intégré au nous national et le musulman "intégriste", symbole de l'Autre, incompatible avec les valeurs de la République. Cette dichotomie est propre au cas français et ne se retrouve guère dans les autres hebdomadaires dont le discours ne semble pas refléter une narration conflictuelle du musulman de l'intérieur. D'autre part, la mobilisation systématique et souvent disproportionnée du principe laïque dans les discours concernant l'Islam et ses représentations (à l'intérieur comme à l'extérieur) semble illustrer cette sensibilité particulière en France depuis une dizaine d'année. À "liberté, égalité,..." semble s'ajouter aujourd'hui laïcité